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CHRIST-EROS

Qu’est-ce que la foi ?

Une anesthésie de l’intelligence ?

Une conscience trop aigüe du Grand Vide qui appellerait le plein ?

Cette nécessité proprement humaine d’expliquer même l’inexplicable par les fééries qui (après avoir rassuré l’enfant) continueraient d’anesthésier la conscience de l’adulte ?

Quelle religion n’est une anesthésie des questions ?

Quelle religion n’est une féérie ?

Toutes les religions ne sont-elles pas des réponses au Grand Vide que l’intelligence humaine refuse à son imagination ?

L’incommensurable doit rester dans les limites mêmes du mot : ce fétiche par lequel on s’en débarrasse.

De le nommer met l’esprit en repos puisqu’il est impensable.

De même la foi, laquelle met l’esprit humain en repos par ses fétiches aussi. Que ce soit les litanies accompagnées de gestes fixés à jamais, qui se substituent à ce Grand Vide que l’on comble par la représentation d’une idole : La foi « prise » en matière, la foi dérivée en une série de gestes schizophréniques de soumission aux pieds d’un fétiche que l’on vénère.

Ainsi l’humanité a-t-elle déposé le long de son long chemin les multiples « figures » pétrifiées de ses élans vers… vers cet indicible informulable, si ce n’est par sa figuration d’abord symbolique, puis de moins en moins maladroite, pour finir par sa représentation « à notre image » grâce à l’art généré par les anecdotes de la Bible (Ancien et Nouveau testament confondus).

Ces fééries, à vrai dire ces « mises en scène » produites par les artistes de plus en plus raffinés de l’Occident, ont réussi à incarner par leur art (leur humanisme) les figures, restées troubles jusque-là dans les esprits, puisque même l’impensable Dieu des monothéistes n’a pas échappé à sa ridicule représentation féérique !

Ainsi, l’Ancien testament comme le Nouveau, par les magies peintes pré-cinématographiques de la Renaissance surtout, se sont-ils soudain rapprochés des humains par une sorte de « zoom » (horrible mot !) fantasmique, à tel point que les « acteurs » d’une foi de plus en plus anecdotique sont entrés on pourrait dire de plain pied dans la vie des « croyants » (pour ceux restés les plus enfantins) jusqu’à réussir à se substituer à leur propre vie.

Entrer dans ce théâtre chrétien n’est-ce pas devenir soi-même l’acteur de ce théâtre d’ombre où la représentation d’un Christ terriblement charnel vous entraîne doucement dans un monde érotique où sa nudité androgyne (donc aussi érotique fantasmiquement à l’homme qu’à la femme), sa nudité sacrée, clouée vive, devenue palpable par l’œil grâce à la magie de l’art, se substitue, par sa puissance d’évocation, à toute autre poussée d’ordre sexuel, devenue « sordide » comparée à l’éblouissant Eros incarné par ce corps divinisé, cloué nu sur la croix, en train de se tordre voluptueusement, à jamais, de douleur !

Bien sûr, quel chrétien accepterait de voir vraiment ce qui se donne à voir dans cet homme parfaitement nu, les mains et les pieds cloués sur le chevalet de torture romain ? Comment se fait-il qu’en plus de deux mille ans personne (même pas un enfant !) ne se soit réveillé de l’hypnose chrétienne pour proférer cette vérité : Mais mon Dieu, cet homme-roi, couronné d’épines est nu ! Non, personne ne s’est risqué à dire, avec la lucidité de l’innocence, combien cette viande saignante et mutilée, pendue vive à des clous, était d’une sublime indécence… érotique ! Et combien, depuis des siècles, elle frappe de plein fouet (comme on pourrait le dire justement) le subconscient érotique de ceux ou celles qui (tourmentés plus que les autres chrétiens) s’étaient cloîtrés dans les chaînes d’une « vocation d’évitement » d’une adoration secrètement sexuelle trop puissante pour s’avouer.

Et je pense à Pascal qui divisait naïvement les juifs en chrétiens d’avant les chrétiens, et en « païens ». « Les juifs tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens, écrivait-il. Les païens ne connaissent point le vrai Dieu et n’aiment que la terre, les chrétiens connaissent le vrai Dieu et n’aiment point la terre. Les juifs et les païens aiment les mêmes biens… Les juifs sont de deux sortes. Les uns n’ont que les affections païennes, les autres, les juifs charnels, ont les affections chrétiennes. » Pour Pascal, ces « bons juifs » seraient donc des chrétiens prémonitoires qui cependant n’ont pas connu l’indécence de l’amour « charnel » envers le Christ.

Et l’émouvante intelligence de Pascal, pour détourner, pour masquer cet amour « charnel des chrétiens envers le Christ » agite le fétiche de la croix, cette idole qui s’est substituée, par une sorte de décence inconsciente, à l’homme nu cloué vif sur deux madriers croisés, prétendant que la religion chrétienne est « folie de la croix ». Et même plus précisément « vertu de la folie de la croix » !

Alors on se demande : Et si les romains avaient pendu le Christ nu ? La « vertu chrétienne (selon Pascal) serait passée par la folie du gibet ? Puisque la symbolique de l’instrument du supplice s’est substituée au corps véritable du supplicié ? On vénérerait une potence… ou le billot si le Christ avait été décapité nu, comme on vénère par détournement les poutres croisées du chevalet de torture spécifiquement romain ?

Et si, de plus, on s’amusait ici à introduire la confusion des temps ?

Et si, dénoncé par les « collabos », le Christ avait été guillotiné nu en France par les Allemands ?

Pascal aurait donc été tout aussi violemment saisi par « la vertu de la folie de la guillotine » au même titre que par « la vertu de la folie de la croix » comme symbole de substitution au corps nu décapité du Christ ?

Faut-il donc toujours un « support » à la foi ?

Même chez les plus intelligents des hommes ?

Serge Rezvani

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