ON NE NAIT PAS HOMME ON LE DEVIENT
StartFragment
EndFragment
Depuis l’aube de l’humain, Abel, mêlé à ses bêtes, couché sur le dos, rêve les étoiles qu’il transmue en poésie, puisque la poésie est la seule réponse à l’impalpable des étoiles…
Tandis que son frère Caïn, le pragmatique, le planteur, le bâtisseur, lui Caïn vit les yeux baissés, et ne pense qu’à extorquer à la Nature le maximum de ce qu’elle peut produire. Donc il l’enclot contre les libres troupeaux de son frère Abel, qu’il finit par assassiner, puisque le rêve d’Abel se situerait dans les lenteurs, je dirais, féminines de l’inutile…
Et ça Caïn ne peut le supporter ! Car « le féminin » - pris, bien sûr, dans son sens universel -, le pôle féminin est infiniment compliqué, au contraire du pôle masculin, lequel, lui, aurait tendance à la simplification. Ne serait-ce qu’en partant seulement de notre pulsion reproductrice, ne faut-il pas au masculin – pour ne pas dire au mâle - qu’un instant infime pour expulser sa semence… vers un féminin qui, ne serait-ce que pour l’approche, exige déjà le temps de l’approche, c’est-à-dire lenteur, soumission aux exigences physiologiques du féminin qui implique « la pariade », ou si l’on préfère les préliminaires imposées par les ovaires de la femelle ?
Cette affirmation péremptoire de Simone de Beauvoir – elle, la femme sans enfant ! - rappelons-la, cette parole qui pourrait être lue comme « dévaluatrice » du féminin : « On ne naît pas femme : on le devient. »
Je tiens essentiellement à la paraphraser ici, afin de lever un grave malentendu : « On ne naît pas homme : on le devient. » Toute naissance est une scission de la chair-même du féminin, un bourgeonnement qui se détache mais reste soumis plus ou moins de temps à sa fragilité « féminine ». Je dirai que nous naissons tous féminins, et que nous le restons jusqu’à ce qu’émerge la diversification du masculin chez l’être en inachèvement… disons que se manifestent les premières pulsions de l’impatience masculine.
Dans toutes les civilisations, l’enfant destiné par ses « attributs » à devenir mâle, grandit néanmoins dans le gynécée, mêlé aux petites femelles, jusqu’à ce que l’homme, le père, le mâle de la chasse et du pouvoir, voué à l’impatience et à l’action violente, vienne l’arracher au monde du féminin pour l’isoler, afin de procéder à son initiation, c’est-à-dire : lui inculquer le mépris du féminin.
Voilà comment l’humanité « masculine » a investi la planète par son action faite d’impatience et d’insatisfaction ! Unanimement nous reconnaissons enfin aujourd’hui notre tendance masculine à la destruction. Alors nous inventons un mot : écologie, mot de repentance tardive, sans pour cela être en mesure de réparer.
Grande et irréparable différence entre les cueilleuses et les chasseurs !
La violence masculine nous a définitivement perdus ! Arrivée à notre stade de destruction, la planète, même reprise en main par les « pessimistes positifs » que doivent forcément devenir ceux qui la gouverneront, oui même en prêtant de la repentance aux actifs intenses que sont forcément ceux qui parviennent au pouvoir, il semble qu’au stade où en est notre belle planète il y a peu de chance que nous puissions la ré-oxygéner, la « re-féminiser ».
Eh oui, la belle planète bleue est en flétrissement ! Je ne suis pas le seul à le dire !
Alors qu’elle est devenue bleue à force de temps, je ne dis pas d’un temps immobile, mais d’un temps lent, de la lenteur des milliards d’années, ce qu’aucune « repentance » ne pourra réparer puisque l’homme, dans sa brièveté et son impatience, ne peut donner « du temps au temps » (pour employer ce truisme ridicule).
Sauf que le rapport des femmes au temps, n’est évidemment pas le même que celui des hommes. Ne serait-ce que le temps imposé par la gestation… avec, de plus, « l’œuvre » que représente l’épanouissement de l’enfant qui vient au monde inachevé, et qu’au contraire des animaux, la femme ne peut pas ne pas accompagner jusqu’à son autonomie. Et, bien sûr, s’ajoutant aux contraintes naturelles, les contraintes « artificielles » qui en découlent, inventées par l’homme.
De fait, il s’est proclamé le « protecteur » de la femme, et donc son maître, jusqu’à limiter sa mobilité. Entravée par la procréation et ses suites contraignantes, la voilà, de plus, restreinte par l’homme qui, par tous les moyens, réduit son espace de liberté.
Le corps de la femme, si précieux, puisqu’il assure, en plus du plaisir sexuel, la continuité génétique de celui qui s’en est rendu maître, ce corps si différent de celui de l’homme doit être réduit à un minimum de mobilité par toutes sortes d’entraves physiques… donc très vite mentales. Les bracelets, les colliers d’aujourd’hui, précieusement ornés, ne sont-ils pas le rappel symbolique des chaînes des esclavages anciens ? Quant aux vêtements, par leur ampleur et leurs complications n’ont-ils pas toujours restreint tout mouvement spontané de ce corps que l’on fragilise… (Jusqu’à finir, par exemple, sous Napoléon III, par le mettre en « cage » - car tel était le nom innocemment donné, par ces prisonnières de la mode, aux paniers découlant des anciens vertugadins ?)
Et il y aurait beaucoup à dire de la contrainte du pied de la femme par l’universelle invention du talon qui l’exhausse et le cambre le plus souvent à l’extrême jusqu’à « l’empêchement » quasi total… tout en le rendant sexuellement attrayant au point de devenir une arme imparable dans les stratégies de la séduction féminine…
Depuis les temps les plus reculés, le vêtement a « empêché » la femme, oui, empêché d’avoir librement accès à la mobilité offerte par le cheval, que les hommes se réservaient. Pendant des millénaires, le coursier fut l’unique moyen de locomotion rapide, donc interdit aux femmes, ne serait-ce que par les difficultés que représentait la longueur de leurs robes si vite souillées aux écuries. Donc impossibilité de procéder seule à son harnachement ou à sa mise aux brancards !
Prisonnières consentantes par vanité, par plaisir de plaire, par besoin d’admiration à connotations sexuelle…
Et puis soudain, autour des années dix hui cents quatre-vingt, l’invention révolutionnaire de la voiture à pétrole nommée auto-mobile (« se mouvant par soi-même »). Autonomie de la mobillité ! Ce qui, enfin, a permis aux femmes, restreintes jusque-là sous le sceau d’Abraham, de se délivrer de leurs entraves immémoriales en accédant pour la première fois à une totale liberté de mouvement… grâce à l’auto-mobile si facile à mettre en route, à conduire, et donc, sur le plan symbolique : le moyen de pouvoir s’évader ! Ce dont parallèlement en témoigne la mode, qui libère leurs jambes… devenues auto-mobiles, elles aussi !
Voilà donc enfin la femme « vainqueuse » de l’immobilité imposée ! Pardon, ce féminin n’existe pas encore en français… comme, d’ailleurs, la plupart des mots du Pouvoir !
Serge Rezvani