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NOUS SOMMES TOUS DES KALACHNIKÉS !

Nous sommes tous des kalachnikés !

À notre époque de plus en plus confuse sur les valeurs, où l’on confond stupidement la bande dessinée avec l’écriture… disons, une écriture pour illettrés, il n’est pas étonnant que des dessins délibérément agressifs envers ceux d’une religion différente, aient été reçus comme doublement intolérables par des « justiciers » primaires, qui a priori refusent la reproduction de la face humaine, (et donc, combien plus que toute autre, celle de Mahomet !) doublée, en ces dessins, par tous les ingrédients de la haine blasphématoire.

Car, reconnaissons-le, les dessins publiés régulièrement par le journal Charlie Hebdo se voulaient manifestement haineux, et n’étaient pas sans rappeler par leur graphisme outré les dessins antisémites : grand nez busqué, barbe, lèvres lippues… des caricaturistes qui (oh comme je m’en souviens !), du temps de l’occupation, se déchaînaient contre les Juifs, dans les journaux de la collaboration, ou par les ignobles affiches placardées dans le métro.

J’ai assez bien connu Cabu au début de Charlie hebdo, du temps de Harakiri. Il n’y avait pas plus doux, plus délicat que lui… Son intelligence (ainsi que celle des autres victimes de leurs dessins) ne lui disait-elle pas que ces caricatures volontairement « barbares », et pleines de haine, appelaient en retour l’acte barbare, puisque, j’insiste, elles s’adressaient à des illettrés ne sachant « lire » qu’au niveau de la bande dessinée.

L’insulte blasphématoire délibérée là où elle fait mal, est indigne de la démocratie civilisée. Indigne de ceux qui prétendent appliquer les Droits de l’Homme. La laïcité que l’on met en avant implique, là aussi, le respect de « l’autre » dans ce qu’il considère comme lui être le plus cher. Qu’on s’en prenne au respect de la mère que l’on « nique », ou au respect de la foi de « l’autre » que l’on « nique » par un dessin ou une parole insultante, je pense que l’élégance (quelque chose d’aussi délicat que ça !) devrait s’imposer ! Oui, une esthétique du vivre ensemble, une esthétique de la Vie.

Alors il ne fallait pas s’étonner si, à des dessins manifestement barbares et qui s’honorent d’être « bêtes et méchants », réponde un acte barbare, « bête et méchant » !

À le provoquer là où ça le blesse, on finit toujours par réveiller le monstre qui dort en tout homme. L’Histoire de l’Homme n’est que monstruosité en réponse au monstrueux ! Cessons de refuser de le voir. Quel monceau de cadavres au nom du Christ !

Donc pas d’irresponsables et angéliques indignations si nous entrons dans les temps maudits des monceaux de cadavres au nom de Mahomet ! La Bête est réveillée ! « Nous » l’avons réveillée !

De même pour Les versets sataniques de Salman Rushdie. Qu’on ne se fasse pas d’illusion, le titre provocateur et volontairement blasphématoire s’adressait à des musulmans illettrés… ou disons à des croyants qui, de leur vie, n’avaient ouvert, pour tout livre, que le Coran. Le blasphème contenu dans le titre avait suffi à sa condamnation à mort par des obscurantistes, comme des caricatures insanes et débiles prétendant représenter Mahomet avaient suffi à faire « kalachniker » leurs auteurs… par des « justiciers » débiles !

Bien avant que le journal Harakiri n’apparaisse, un écrivain du nom de Jacques Houbart, entouré des meilleurs dessinateurs de l’époque : dont Topor, Follon, Bosc, Siné, André François, Maurice Henry, et de nombreux autres… avait fondé une revue satyrique, dont seuls trois numéros ont réussi à survivre. Cette revue de haute qualité se nommait Haute Société, dont le slogan était : « bien trop bête et trop méchant », slogan qui un peu plus tard, au moment de sa fondation, a été repris, sans scrupule, par Harakiri, après que Haute Société ait périclité.

Cette revue était bête et méchante, en effet ! Et elle avait le bon goût (bien que volontairement de mauvais goût) de s’en prendre à la stupidité de notre société, qui prétend appliquer les principes dont elle s’honore, tout en agissant à l’inverse de ces principes.

Bien sûr, il faut beaucoup de naïveté pour « vivre indigné » (comme disait Zola), et c’était bien le cas de cette revue qui au bout de trois numéro eut l’intelligence de se rendre compte qu’il était temps d’abandonner les couches culottes de la transgression outrée (laquelle se situerait au même niveau que les motivations inconscientes de ceux qui désirent le Pouvoir - qui n’est qu’un irrépressible et outré retour au « berceau », puisque ce n’est qu’au « berceau » que la larve humaine reçoit l’admiration inconditionnelle de son entourage).

Car, nous devons le reconnaître, le désir de « tout casser » est symétrique au désir du Pouvoir suprême. Ce sont les signes irréfutables d’immaturité. La colère du bébé refusé répond à la béate satisfaction du bébé bien calé en son berceau. Et l’image du « berceau » comme but suprême de celui qui se hisse au Pouvoir suprême n’est que trop évidente, si on sait se débarrasser du « respect » exigé de chacun pour le théâtre des apparences imaginé par l’homme autour de ses ridicules manifestations de « grandeur ».

Un pantalon tout doré de parements

Cache toujours un homme en caleçons.

Ces vers du ridicule (qui auraient très bien convenu comme slogan pour Charlie Hebdo) déshabillent toute grandeur pour nous ramener au petit homme nu que nous sommes, et que, justement, Charlie Hebdo s’était donné pour mission de ramener à sa vraie dimension.

Sur des décennies, ce journal s’est voulu un torchon, ou pour le dire plus correctement un brûlot. Aucune vulgarité n’était suffisante pour « cracher » sur le drapeau français, sur la fonction de Président de la République française, sur les « valeurs » françaises quelles qu’elles soient. Rien que son titre (qui a remplacé Hara-kiri, ne l’oublions pas !) est venu d’une manchette irrespectueuse annonçant la mort du général de Gaulle par : « Bal tragique à Colombey : un mort ! » (allusion à un bal, en effet tragique, qui la semaine précédente avait fait plusieurs morts). D’où ce titre irrespectueux qui valut à ce « méchant » hebdomadaire d’être retiré de la vente… pour paraître immédiatement sous une appellation encore plus provocatrice et irrespectueuse envers Charles de Gaulle : Charlie Hebdo.

Pourquoi pas, puisque nous sommes en « démoCRACRAtie » ? (pour parler le langage de Charlie). Pourquoi pas, puisqu’il faut un « contre-pouvoir » des fous ? « Qu’ils soient libres de cracher sur nos valeurs, qu’ils servent de caution à une liberté de la presse que par ailleurs nous avons bien en main », laissèrent entendre, avec un mépris hautain, les pouvoirs publics. Et en effet, depuis ce 9 novembre 1970 Charlie ne se priva pas de « chier sur le drapeau bleu blanc rouge » ! En effet, pourquoi pas ? Puisque nous sommes en « démoCRACRAtie » ! Et vive la Liberté de « chier » sur tout ! Ne sommes-nous pas dans cette France laïque où tout est permis… même de « chier sur son voisin » ?

Et voilà que sous l’émotion de ce « kalachnikage » ignoble, la plus grande partie de la classe politique, son « moi-Président » en tête, déclare :

« Nous sommes tous des Charlie ! »

Par quelle amnésie… ou aculture de nos récentes années, ces militants de la laïcité oublient le contenu de ce mot négatif pour s’en revêtir, pour en revêtir leurs poitrines ornées cependant du bandeau tricolore ? Voilà bien à quelles contradictions mène ce tout-vaut-tout instauré principalement par une gauche-catho qui a perdu pied et se noie dans ses incertitudes !

Personne d’autre que ceux de Charlie et leurs vieux soixantehuitards de lecteurs peuvent se réclamer de Charlie, puisque, depuis plus de quarante ans, ce fut leur oxygène dans un monde en baisse.

Quant aux autre, les indignés de cet ignoble massacre un seul slogan aurait dû crier leur deuil ! :

Nous sommes tous des kalachnikés !

Serge Rezvani

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